Economie démocratique au Kurdistan

Traduction en français de l’article Democratic Economy in Kurdistan du livre
Pluriverse : A Post-Development Dictionary

Mots clés: démocratie, écologie, émancipation des genres, besoins

Le fil conducteur du mouvement kurde qui suit l’idéologie développée par Abdullah Öcalan, remontant à la fondation du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) en 1978, s’est éloigné de son objectif initialement déclaré d’un État kurde indépendant pour défendre le confédéralisme démocratique et l’autonomie démocratique comme principaux modèles d’organisation. Le projet d’autonomie démocratique implique un processus d’organisation reposant sur le droit, l’autodéfense, la diplomatie, la culture et l’écologie. Il comprend la construction d’une « économie démocratique » et communautaire basée sur les principes de l’émancipation des genres et de l’écologie. Le projet réintègre l’économie dans les processus sociaux, en garantissant l’accès de tous aux moyens de reproduction sociale – une reconfiguration définie par les besoins.

Le principal fondement intellectuel du projet kurde est la critique par Abdullah Öcalan de la modernité capitaliste. Öcalan approfondit l’analyse marxiste du capitalisme en sondant l’universalité du capitalisme industriel/accumulatoire. Le projet s’inspire également des idées de Murray Bookchin sur l’écologie sociale et le municipalisme libertaire. S’appuyant sur ces racines intellectuelles, la démocratie, l’émancipation des sexes et l’écologie sont définies comme les principes selon lesquels toutes les relations économiques doivent être organisées. La démocratie implique que la prise de décision concernant ce qu’il faut produire et partager, comment gérer les ressources et comment les distribuer doit être participative et égalitaire. Parmi les moyens de prise de décision sociétale figurent les communes et les conseils à différentes échelles et sur différents thèmes – quartier, ville, commune ; jeunesse, femmes, éducation, économie, écologie, etc. – ainsi que des lieux tels que les coopératives d’énergie et les conseils de l’eau. L’émancipation des genres remarque la subversion discursive et matérielle de l’invisibilité et de la dévalorisation du travail et des connaissances des femmes, et propose de reconstruire des relations économiques de manière à assurer la participation des femmes à tous les processus de décision. L’écologie implique la reconnaissance que toute la nature est le patrimoine commun des humains et des non-humains et que toutes les activités économiques devraient être encadrées par l’écologie ainsi que par la société.

Une économie démocratique est une économie sans accumulation dans laquelle les activités ne sont pas orientées vers un impératif non remis en question de développement économique, mais vers la satisfaction des besoins de tous. Cela signifie qu’il faut privilégier la valeur d’usage par rapport à la valeur d’échange, garantir un accès collectif et égal à la terre, à l’eau et aux autres ressources locales, et faire de la nature non humaine le patrimoine commun non marchand de toutes les créatures vivantes. Les droits collectifs et égaux sur les moyens de reproduction sociale y sont maintenus au détriment de l’efficacité et de l’orientation vers le profit. Les propositions concrètes associées à cette vision comprennent la réalisation de la justice dans le domaine de la propriété foncière, la réorganisation de la production agricole en fonction des besoins, la socialisation des responsabilités du travail non rémunéré des femmes par des crèches et des cuisines collectives et l’autogestion locale des ressources par des coopératives énergétiques et des conseils de l’eau.

Parmi les mesures prises pour rendre ce projet opérationnel, on peut citer les initiatives municipales visant à donner accès à la terre à des familles sans terre. Des parcelles en périphérie urbaine ont été ouvertes à la culture collective, à raison de 10 à 40 familles sans terre par parcelle, avec un soutien technique et matériel. Les parcelles sont reliées à des camps de semis, où sont conservées les semences développées par les familles. La production dans ces unités est principalement axée sur la subsistance, mais elles sont également en relation avec des centres de production directe pour la commercialisation des surplus de production dans les centres urbains. Un autre exemple est le réseau de coopératives de femmes dont le mouvement des femmes kurdes a été le fer de lance. En lien avec la production et la distribution, ces coopératives sont principalement engagées dans l’agro-transformation et la fabrication textile, et elles commercialisent leurs produits directement aux consommateurs via les centres de distribution coopératifs, Eko-Jin’s. La plupart des coopératives de transformation agroalimentaire sont issues de collectifs agricoles urbains existants et sont liées à ceux-ci. Les coopératives sont en outre mises en réseau avec des responsables municipaux, des militants, des universitaires et des groupes de la société civile sous l’égide plus large du mouvement des femmes, le Congrès libre des femmes (KJA) – un lieu de débat et de prise de décision.

Le projet d’autonomie démocratique prévoit l’organisation d’une économie durable et autonome comme un aspect indispensable de l’autonomie politique. Il vise à organiser la production de biens et de services en commun afin de pré-empter la fonction de l’État dans ce domaine. En ce sens, le projet est à mettre en parallèle avec d’autres mouvements autonomes tels que les zapatistes. Il est également en résonance avec le mouvement plus large de l’économie solidaire dans le monde, car il déconstruit l’impératif du développement capitaliste et donne la priorité à l’autogestion, à la justice sociale et à l’intégrité écologique.

Bien qu’il reste beaucoup à voir sur la manière dont le projet d’économie démocratique va continuer à se concrétiser, on peut discerner un certain nombre de défis. Les inégalités existantes, telles que celles qui existent en matière de propriété foncière, sont susceptibles d’impliquer des défis dans l’organisation de l’économie selon une satisfaction collective et égalitaire des besoins. La tension entre la satisfaction des besoins de tous en tant que principe d’organisation et la position non accumulationniste de l’autonomie démocratique est un autre type de défi. Si la définition des besoins doit être délibérée démocratiquement, les besoins qui vont au-delà de l’autoproduction poseront inévitablement la question de savoir quelle quantité de surplus doit être « accumulée » pour les satisfaire et si, collectivement, ces besoins sont considérés comme légitimes. Plus important encore, l’escalade de la violence armée et politique de l’État turc ainsi que l’intensification de la diffusion des relations capitalistes dans la région, soulèvent de réelles difficultés. Pourtant, ce qui a permis et continue de soutenir ce projet, ce sont les réseaux de solidarité que l’on trouve au sein du peuple kurde. Si le collectivisme, le partage et la solidarité ont toujours été des codes culturels forts, c’est l’histoire collective de la lutte qui a le plus renforcé ces réseaux. Ils ont, à leur tour, servi de base sur laquelle une économie démocratique autonome a pu être organisée. En ce sens, l’engagement et l’organisation solidaire du peuple kurde constituent une opportunité inestimable.

Azize Aslan est doctorante à la Benemérita Universidad Autónoma de Puebla, Instituto De Ciencias Sociales y Humanidades Alfonso Vélez Pliego. Elle travaille sur une étude comparative des mouvements zapatistes et kurdes ; elle a pris une part active au projet d’économie démocratique et a beaucoup écrit sur la question.

Bengi Akbulut est titulaire d’un doctorat en économie et est professeur assistant au sein du département de géographie, d’environnement et de planification, Université Concordia, Canada. Elle travaille sur l’économie politique du développement, l’écologie politique, les communs et les économies alternatives.

Villes intelligentes

Traduction en français de l’article Smart Cities du livre
Pluriverse : A Post-Development Dictionary

Mots clés: TIC, souveraineté technologique, transformation urbaine

La ville intelligente est un concept ambigu qui façonne profondément les débats sur la durabilité urbaine ainsi que les stratégies de compétitivité urbaine, tant dans le Nord que dans le Sud. Sa pierre angulaire est l’utilisation intensive et omniprésente des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour améliorer la gestion urbaine et sa durabilité.

S’il est impossible de présenter une liste exhaustive des villes, régions ou pays qui mettent en œuvre des plans de villes intelligentes, il est utile de mentionner certains des cas les plus paradigmatiques. L’Europe a été un précurseur dans le domaine de la ville intelligente, avec des villes comme Amsterdam ou Barcelone en tête du classement des villes intelligentes ces dernières années. Si la plupart des stratégies de villes intelligentes visent à améliorer l’environnement bâti existant en ajoutant une « peau numérique » à la ville, on peut citer les villes intelligentes construites de toutes pièces, comme Masdar aux Émirats arabes unis ou Songdo en Corée du Sud. Ce concept a non seulement eu un impact sur l’urbanisme mondial du Nord, mais il façonne aussi profondément les débats urbains dans le Sud. Il est remarquable de constater l’ampleur et l’ambition de la mission « Smart Cities » en Inde, qui comprend plus de 100 projets se développant dans tout le pays. Enfin et surtout, il est également important de mentionner que le concept commence à influencer l’urbanisme africain.

Grâce à la saisie continue de données précises sur le métabolisme urbain, à l’utilisation généralisée d’applications mobiles, de capteurs, de compteurs intelligents, de réseaux intelligents, de plateformes de gestion intégrée et autres, la ville intelligente promet une utilisation plus efficace et optimale des ressources, une diminution de la pollution urbaine et une meilleure qualité de vie. Les grands conglomérats de TIC, les services publics et les sociétés de conseil internationales apparaissent comme des acteurs clés dans la mise en œuvre au niveau urbain de la ville intelligente.

Cette version numérique rénovée de la modernisation écologique dirigée par les TIC présente de nombreux dangers pour une transition post-développement. Tout d’abord, les conceptions courantes de la ville intelligente dénotent un degré élevé de déterminisme technologique. L’utilisation intensive des TIC est acritiquement considérée comme un passage obligé qui assurerait automatiquement une meilleure qualité de vie pour tous. Par conséquent, dans l’imaginaire de la ville intelligente, le changement technologique est le fer de lance du changement social. Une perspective ontologique qui présente les processus urbains socio-environnementaux comme de l’ingénierie et des défis pouvant être résolus par des solutions technologiques caractérise généralement cette narration. Alimentée par une grandiloquence dépolitisée, elle surestime la capacité de transformation de la technologie tout en occultant les dimensions structurelles politico-économiques des problèmes socio-environnementaux urbains tels que la pauvreté, la discrimination ou l’inégalité. Ce faisant, les déploiements hégémoniques de la ville intelligente remplacent la poursuite de la justice socio-environnementale et du « droit à la ville » par celle de la démocratisation de la technologie. Deuxièmement, les technologies des villes intelligentes peuvent accentuer l’éclatement des villes, renforcer les relations existantes de pouvoir inégal et accroître les disparités sociales et l’exclusion de certaines parties prenantes. Troisièmement, la ville intelligente peut être comprise comme un moteur permettant d’accélérer la circulation des capitaux et l’extraction des loyers par et pour les entreprises privées en période de restructuration urbaine post-crise. Le contrôle monopolistique privé des technologies intelligentes peut entraîner un blocage socio-technique empêchant la concrétisation de transitions socio-techniques alternatives plus égalitaires. Quatrièmement, on pourrait également considérer que cette situation se rapproche d’une dystopie urbaine de surveillance totale et d’un glissement vers une gouvernance urbaine autoritaire.

Au-delà des implications politico-économiques de la ville intelligente, les avantages environnementaux des TIC urbaines doivent faire l’objet d’un examen critique. Les solutions de la ville intelligente visent à réduire la consommation d’eau et d’énergie, en limitant les émissions de manière efficace et rentable. D’une part, les améliorations de l’efficacité peuvent entraîner une augmentation inattendue de l’utilisation des ressources, suite au paradoxe de Jevons. D’autre part, la production des technologies de la ville intelligente peut entraîner des impacts socio-environnementaux dérivés de la fabrication, de l’exploitation et de l’élimination des TIC (par exemple, l’extraction d’éléments rares liés à des conflits tels que les métaux critiques et les terres rares).

En bref, d’un point de vue critique, la ville intelligente pourrait être caractérisée comme un signifiant vide, creux et dépolitisé, construit à l’image du capital pour extraire les rentes urbaines et promouvoir la croissance économique. En d’autres termes, la ville intelligente peut être comprise comme une version de la modernisation écologique appliquée à l’échelle urbaine en contradiction avec une alternative post-développement. Cependant, ce qui est vraiment problématique avec la ville intelligente, ce n’est pas les TIC et les technologies intelligentes en soi, mais l’économie politique qui sous-tend les imaginaires technocratiques et corporatifs, déterministes en terme de technologies, a-spatiaux et pro-croissance de la ville intelligente. En effet, une subversion progressive, partant de la base et émancipatrice des technologies et des TIC de la ville intelligente peut être viable. Si elles sont développées dans une logique d’open-source par des coopératives, des petites et moyennes entreprises ou des organisations à but non lucratif, et détenues sous contrôle public démocratique, de nombreuses technologies de la ville intelligente, telles que les compteurs intelligents, les capteurs, les réseaux intelligents ou les plateformes ouvertes pourraient être intéressantes pour une transition post-croissance. En effet, les militants de base ont montré, par des expérimentations sur les TIC, allant des applications de cartographie aux capteurs bricolés, qu’ils avaient la capacité de s’approprier, de mettre en œuvre et d’adapter ces technologies, et la capacité de produire de nouvelles données pour mettre en place une politique de contestation socio-environnementale urbaine. Ailleurs, les administrations locales concernées par les questions de souveraineté technologique commencent à élaborer des alternatives aux villes intelligentes hégémoniques et dirigées par les entreprises. Ces discours et pratiques alternatifs tournent autour de la redistribution collaborative de l' »intelligence » et ouvrent la possibilité d’une transformation urbaine progressive, civique, démocratique, coopérative, citoyenne et communautaire, qui ne soit ni contrôlée par les élites technocratiques et le capital ni soumise au fétichisme de la croissance économique perpétuelle.

Hug March enseigne à la faculté d’économie et de commerce de l’Universitat Oberta de Catalunya, en Espagne, et est chercheur au sein du laboratoire de transformation urbaine et de changement global de l’Institut interdisciplinaire de l’Internet (IN3). C’est un écologiste politique urbain qui s’intéresse au rôle de la technologie et de la finance dans la transformation socio-environnementale. Il a mené des recherches approfondies sur l’écologie politique du cycle de l’eau.

Ethique des canots de sauvetage

Traduction en français de l’article Lifeboat Ethics du livre
Pluriverse : A Post-Development Dictionary

Mots clés: contrôle des populations, néo-malthusianisme, tragédie des communs

L’éthique des canots de sauvetage est une théorie très influente dans l’éthique appliquée contemporaine. Elle a été développée par le biologiste Garrett Hardin et appliquée à des questions telles que la faim dans le monde, l’aide alimentaire, la politique d’immigration et la croissance démographique mondiale. Dans un article paru en 1968 dans Science, Hardin a décrit sa célèbre « Tragédie des Communs » : une situation dans laquelle des individus exploitent une ressource commune pour leur bénéfice personnel exclusif, ce qui entraîne une dégradation de la ressource et un préjudice grave pour la société en général. Dans un article paru en 1974 dans Psychology Today, il a fait valoir qu’une telle tragédie se produit globalement comme résultat de l’aide alimentaire à ceux qui souffrent de la faim et de la malnutrition.

L’éthique des canots de sauvetage affirme que le monde se dirige vers une crise catastrophique dans laquelle la population mondiale atteindra un niveau insoutenable, et que de nombreux pays ont déjà atteint un tel niveau à l’intérieur de leurs propres frontières. Elle déclare que la cause première de cette crise est le taux rapide de la croissance démographique, généralement dans les pays du Sud. Elle soutient que l’aide alimentaire des pays riches vers les pays pauvres est un facteur majeur dans la production de taux de fertilité insoutenables. Elle prétend que l’aide alimentaire provoque un « effet de cliquet » qui empêche la population d’un pays pauvre de tomber à une « capacité de charge » qui est considérée comme sa limite « normale », et qui lui permet au contraire d’augmenter de façon non durable. Elle prédit que la poursuite de l’aide entraînera un effondrement économique mondial et une chute de la population.

Ce point de vue s’inscrit dans une longue tradition de pensée néo-malthusienne et de darwinisme social qui a souvent été utilisée pour rationaliser les inégalités sociales, l’exploitation économique et l’impérialisme mondial comme moyens de maximiser le bien général. Comme c’est le cas pour ces idéologies, l’éthique des canots de sauvetage est pleine d’incohérences théoriques et de conflits avec les preuves empiriques.

Pour commencer, le concept de base de la capacité de charge est circulaire. Aucune preuve empirique n’est apportée qu’un niveau de population spécifique épuise la capacité réelle d’une zone géographique donnée à soutenir la population humaine ; et aucune analyse n’est présentée pour démontrer qu’un cas réel de diminution de la population a été le résultat d’un dépassement de cette capacité. Tout concept de capacité de charge qui repose sur des bases empiriques, comme le font certaines analyses de l’empreinte écologique, montre que les sociétés riches et industrialisées qui consomment d’énormes quantités de combustibles fossiles et d’autres ressources dépasseront bien plus leur capacité que les sociétés plus pauvres qui consomment relativement peu de ressources par habitant.

En outre, l’éthique des canots de sauvetage ignore systématiquement le fait que de nombreux pays pauvres et mal nourris produisent de grandes quantités de biens, y compris des produits agricoles, qui sont exportés vers les sociétés de consommateurs riches, et que leur pénurie alimentaire intérieure est le résultat du pouvoir mondial, de l’exploitation économique et du commerce, plutôt que des taux de fécondité élevés dépassant la capacité de charge.

L’éthique des canots de sauvetage rejette la possibilité d’une « transition démographique bénigne » non coercitive, mais la réalité historique le réfute. Sans les mesures draconiennes de contrôle de la population que Hardin préconise, la plupart des pays du monde, à partir de 2016, ont des taux de fécondité inférieurs au taux de renouvellement des générations et les trois quarts ont des taux inférieurs à un modeste 3,0. Le taux de fécondité de l’Inde, à 2,45, est aujourd’hui bien inférieur à celui des États-Unis pendant la période 1945-64, peu avant la publication du manifeste de Hardin sur l’éthique des canots de sauvetage.

Les preuves historiques montrent également que, contrairement aux affirmations de l’éthique des canots de sauvetage, les principales causes de famine ont été politiques et économiques, et non démographiques. Dans des cas tels que l’Ukraine, le Biafra, le Bangladesh, le Timor Oriental et bien d’autres, la famine était le résultat d’objectifs politiques délibérés de l’État, du renforcement de l’autorité du régime en place, de la protection des intérêts économiques et, le plus souvent, de l’écrasement des citoyens dissidents et des mouvements séparatistes.

En réalité, la relation entre la sécurité alimentaire et les taux de fertilité est précisément à l’opposé de celle que postule l’éthique des canots de sauvetage. Par exemple, une grande partie de l’Afrique subsaharienne a des niveaux extrêmement bas de bien-être social dans tous les domaines, y compris la sécurité alimentaire. Cela devrait, selon l’éthique des canots de sauvetage, entraîner une baisse des taux de fécondité. Pourtant, la région a également les taux de croissance démographique les plus élevés du monde. À l’inverse, les régions du Sud où la fécondité est en baisse sont celles où la production alimentaire et les autres indicateurs de bien-être social s’améliorent.

Le programme du néo-malthusianisme est trahi par l’application incohérente de ses propres principes idéologiques défectueux. Le refus de sauver des vies humaines n’est pas une voie vers le plus grand bien de la société. Cependant, si le fait de sauver des vies dans les pays pauvres portait effectivement préjudice à la postérité, alors le fait de sauver des vies dans les pays riches, où chaque personne consomme beaucoup plus que dans les pays pauvres, serait beaucoup plus dommageable pour les générations futures. Néanmoins, les partisans de l’argument de l’éthique des canots de sauvetage ne recommandent jamais de sacrifier la vie des riches consommateurs pour promouvoir l’intérêt général.

Enfin, l’éthique des canots de sauvetage est invalidée par le fait qu’elle ignore totalement la relation intime entre la faim dans le monde et les politiques de développement coloniales et néocoloniales qui ont traité le Sud comme une source de main-d’œuvre, de matières premières et de produits agricoles bon marché. Historiquement, les politiques coloniales sont passées par trois étapes qui ont généré une malnutrition généralisée et une grave famine. Ce sont :

  1. la destruction forcée des économies de subsistance traditionnelles basées sur les communs ;
  2. l’utilisation de la loi, de la politique publique et de la force coercitive pour rendre la main-d’œuvre indigène soumise aux exigences des intérêts économiques impérialistes ;
  3. le refus des autorités d’affecter les excédents alimentaires facilement disponibles à la lutte contre la famine.

De plus en plus, aujourd’hui, la pénurie alimentaire est causée par des facteurs économiques et politiques combinés aux conditions climatiques.

Compte tenu de sa capacité à masquer cette histoire, à déformer les réalités empiriques et à déguiser l’exploitation mondiale comme le cours normal de la nature, l’éthique des canots de sauvetage a fonctionné comme un outil puissant de l’économie néocoloniale, voire des modèles de développement génocidaires.

John P. Clark est un écologiste social, directeur de La Terre Institute for Community and Ecology et professeur émérite de philosophie à l’Université Loyola de la Nouvelle-Orléans. Largement publié, son dernier livre s’intitule The Tragedy of Common Sense (2016).

Economie circulaire

Traduction en français de l’article Circular Economy du livre
Pluriverse : A Post-Development Dictionary

Mots clés: métabolisme sociétal, efficacité des ressources, réutilisation, durabilité, croissance

L’économie circulaire (EC) est une démarche émergente visant à découpler la croissance économique et les impacts environnementaux. Il s’agit à la base de :

  1. réduire la consommation de matières premières afin de faire reculer le modèle extractif du système économique actuel ;
  2. promouvoir les pratiques de réutilisation, en évitant de rejeter des matériaux et des produits qui ont encore une valeur d’usage pour les différents acteurs de la société ;
  3. accroître le recyclage des biens en mettant en œuvre un système de marché efficace pour les matières secondaires.

Les solutions techniques et liées au design ainsi que les solutions managériales sont à la pointe de la recherche en EC et de ses applications. Ces solutions permettent de contrecarrer l’obsolescence programmée – la limitation de la durée d’utilisation des produits afin d’augmenter leur volume de vente à long terme – du business model standard et de prolonger la durée d’utilisation des produits.

L’apparition du concept d’EC remonte à des pionniers de l’économie environnementale tels que Kenneth Boulding. Au milieu des années 60, celui-ci a critiqué l’idée d’une économie en expansion continue et linéaire, une économie de cow-boy basée sur des terres toujours plus nombreuses à coloniser pour augmenter la production de bétail. Il prévoyait l’avènement de l’économie des vaisseaux spatiaux, où l’expansion vers de nouvelles frontières extractives n’est plus possible et où le recyclage des matériaux et de l’énergie devient la principale préoccupation des entreprises. Plus tard, dans les années 80, le bilan matériel de l’économie est également devenu un sujet central pour des économistes environnementaux très influents comme David Pearce et Kerry Turner (1990), qui, probablement pour la première fois, ont utilisé le terme « économie circulaire ». Ils ont expliqué que ce n’est que si l’on ignore l’environnement – le système fermé qui fixe les limites et les frontières de l’extraction et du rejet de la matière – que l’économie peut apparaître comme un système linéaire en expansion. Au cours de la même période, les écologistes industriels et les éco-concepteurs ont commencé à rechercher comment augmenter l’efficacité des matériaux et prolonger la durée d’utilisation des produits. Ces études ont contribué au développement du soit-disant « métabolisme industriel », c’est-à-dire à l’évaluation intégrée des activités de travail ainsi que des processus technologiques et physiques nécessaires à la transformation des matières premières et secondaires et de l’énergie dans les produits finis et les déchets. L’urgence de la réduction des déchets a énormément influencé le développement des idées et l’application de l’EC. Cela explique également pourquoi les politiques en matière d’EC sont issues ou font directement partie du cadre législatif et des plans programmatiques en matière de déchets (Ghisellini et al. 2016). Les réflexions sur l’EC proviennent de nombreuses autres disciplines. Dans le domaine de l’architecture, par exemple, le concept de « cradle-to-cradle » pousse les designers à imaginer des produits régénérateurs. Les scientifiques et les gestionnaires des ressources naturelles favorisent la diffusion de l’approche biomimétique, qui tente d’imiter les qualités d’adaptation des éléments et des structures présents dans la nature pour résoudre les problèmes humains. L’économie circulaire applique également des principes issus de la permaculture, un système intégré de culture qui simule l’évolution d’un écosystème biologique auto-organisé.

Néanmoins, les modèles actuels de l’économie « réelle » des flux de matières et d’énergie suggèrent qu’il faut être prudent quant aux bénéfices de l’EC. L’économie actuelle est beaucoup plus efficace que celle qui existait il y a un siècle, mais elle utilise des ressources à un niveau jamais atteint auparavant. Elle extrait une quantité sans précédent de matières premières et libère des quantités insoutenables de déchets solides et gazeux. L’empreinte matérielle des nations, un indicateur qui rend compte de l’impact associé aux extractions de matières premières sur la nation qui consomme réellement les produits de la chaîne finale, montre qu’aucun découplage absolu n’est à l’horizon. La prospérité ne diminue en rien la pression sur les ressources naturelles (Wiedmann et al. 2015). Une étude empirique inédite visant à estimer la circularité de l’économie mondiale précise que seuls 6 % des matériaux extraits sont recyclés et retournent alimenter la boucle de la production et de la consommation. Le potentiel maximum actuel de recyclage est en fait d’environ 30 % ; les 70 % restants sont composés principalement d’énergie et, dans une moindre mesure, de déchets minéraux qui ne peuvent être recyclés (Haas et al. 2015). Il n’est donc pas difficile de conclure que le schéma actuel de l’économie mondiale est très éloigné des objectifs de l’EC.

En outre, si l’on s’attend, même si ce n’est pas toujours pleinement démontré, à ce que l’EC stimule l’emploi et crée des emplois de qualité, il est étonnant qu’il n’y ait aucune discussion sur la possibilité d’accroître l’inégalité de distribution et d’accès aux ressources, produits et services, même dans le cadre des scénarios de l’EC.

La prudence exprimée précédemment ne doit pas conduire à un rejet superficiel des principes et des applications de l’EC. En effet, les acteurs de l’EC méritent attention. Il y a, parmi ces acteurs, les communautés d’économie circulaire opensource, c’est-à-dire les experts, les concepteurs et les innovateurs qui, dans leur diversité, souhaitent promouvoir la transparence, le libre accès à l’information, aux produits et aux technologies et qui proposent des solutions à code source libre aux problèmes d’environnement et de ressources. Ces mouvements de base remettent en question non seulement le modèle économique, mais aussi l’institution essentielle du capitalisme, c’est-à-dire la propriété privée de la connaissance et de l’information. L’hésitation à s’engager avec ces acteurs d’une économie en plein essor basée sur les communs numériques pourrait être une occasion manquée, puisqu’ils sont à l’origine de certaines des innovations les plus importantes qui pourraient rendre techniquement et socialement possible une société de « décroissance » à faibles émissions de carbone. Il est donc extrêmement important de les suivre et de créer une synergie avec eux.

Giacomo D’Alisa est un économiste écologique et un écologiste politique. Ses intérêts de recherche vont de la gestion des déchets à la justice environnementale, du trafic illégal de déchets à la criminalité environnementale. Il promeut des visions de décroissance et s’intéresse à la manière dont une société de décroissance centrée sur les soins et les communs pourrait se concevoir. Il est actuellement post-doc au Centre d’études sociales (CES) de l’université de Coimbra.

Commerce de services écosystémiques

Traduction en français de l’article Ecosystem Service Trading du livre
Pluriverse : A Post-Development Dictionary

Mots clés: services écosystémiques, environnement, changement climatique, biodiversité,
néolibéralisme, marchés carbone, Accord de Paris

Les réponses officielles à la crise environnementale s’articulent de plus en plus autour du commerce d’unités bénéfiques pour l’environnement. Le protocole de Kyoto de 1997, le système communautaire d’échange de quotas d’émission de 2005 et l’Accord de Paris de 2015 prétendent lutter contre le changement climatique par le commerce de droits de pollution. Des systèmes similaires autorisent le commerce de jetons de biodiversité, que les industriels ou les constructeurs peuvent par exemple acheter pour « neutraliser » la destruction dont ils sont responsables.

Aucune de ces initiatives « écologistes de marché » n’a le potentiel de résoudre la crise climatique, la crise de la biodiversité ou toute autre crise écologique. Ce n’est pas leur fonction. Il faut les comprendre comme des composantes de la lutte capitaliste pour trouver des réponses à l’effondrement des compromis auxquels le capitalisme a été contraint au cours du XXe siècle.

Un compromis impliquait l’État-providence, la gestion de la demande et un accord sur des salaires et une consommation élevés pour une aristocratie ouvrière masculine blanche au Nord, couplé à une « sous-consommation » dans les approvisionnements mondiaux en pétrole bon marché du Sud. Ce compromis a fait long feu à partir des années 1970 : les producteurs de pétrole ont refusé de maintenir les prix bas, les femmes ont refusé de faire du travail reproductif non rémunéré, les minorités ont refusé le racisme, les travailleurs épuisés ont cherché des moyens de s’en sortir. Pour faire face à la chute des taux de profit, de nouvelles réserves de main-d’œuvre bon marché ont été constituées dans le Sud en séparant un nombre de personnes sans précédent de leur terre, et dans le Nord en séparant les travailleurs de l’État-providence, des syndicats et des contrats de travail existants. Pour donner du travail aux nouveaux ouvriers, de nouvelles offensives de grande envergure ont été lancées pour extraire des matières premières des communs et des territoires indigènes du monde entier. Ce regain d’extractivisme s’est accompagne d’une réponse « néo-keynésienne » au problème de la manière dont les travailleurs mal payés étaient censés pouvoir acheter toutes les nouvelles marchandises proposées : une vaste expansion du crédit privé, en fait une colonisation des futurs salaires des pauvres. La finance a également contribué à combler le manque à gagner en favorisant les bulles spéculatives, les liquidations d’actifs, la fabrication de produits dérivés, la spéculation immobilière, l’évasion fiscale à l’échelle industrielle, les vols de biens publics et autres escroqueries.

Un deuxième compromis s’est effondré à la fin du XXe siècle, le développementalisme national que le capital avait considéré comme un moyen de freiner les énergies révolutionnaires des mouvements nationalistes postcoloniaux. Avec sa promesse d’une division du travail au niveau national, orientée vers l’indépendance, entre l’agriculture et l’industrie, le développementalisme a inévitablement fait obstacle à des relations de propriété et de valeur plus mondialisées. Il a également été victime des contradictions inhérentes à sa promotion de substituts capitalistes aux approches communales. La révolution verte, l’aide alimentaire et le développement des infrastructures, ainsi que la « réforme agraire » centrée sur les exploitations individuelles privatisées, n’ont fait qu’accroître la dépendance et les divisions de classe. Heureusement pour le capital, le besoin de compromis a diminué à mesure que le spectre d’une alternative socialiste s’est estompé après les réformes chinoises de 1979 et l’effondrement de l’Union soviétique une décennie plus tard. Heureusement aussi, le capital a pu tourner à son avantage la montée en puissance de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en déployant la dette pétrolière comme moyen post-développementaliste de discipliner le Sud dans un marché mondial. Le retour à un ordre mondial de type colonial a été annoncé par une nouvelle vague de traités commerciaux coercitifs et de couloirs d’infrastructures intercontinentaux, avec en tête le slogan de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) « made in the world ».

Le troisième compromis qui a échoué est la réglementation environnementale classique, qui a à la fois exprimé et contribué à « maximiser » les puits de déchets gratuits sur lesquels le capital industriel comptait depuis longtemps. Les bureaucraties réglementaires avaient prétendu être capables de gérer les crises en appliquant des pastiches de principes concernant les communs tels que le droit inconditionnel à la vie de diverses espèces, y compris les humains. Mais comme la politique de l’État-providence – marqué par une défense tiède du droit de l’homme à subsister – ce compromis ne pouvait pas durer. Dès que la législation environnementale américaine des années 1970 a été promulguée, elle a été attaquée pour être une « interdiction de croissance ». Heureusement, des idéologues néolibéraux, des think tanks basés à Washington et des ONG environnementales étaient présents pour proposer une échappatoire. La réglementation resterait, mais ses éléments communs disparaîtraient. Les limites de la dégradation ne seraient pas fixées « de l’extérieur » par des experts ignorant les besoins du capital, mais par la collaboration avec les entreprises. La science physique serait remplacée par l’ « éconoscience ». Aucun des droits des humains ou des non-humains ne serait inconditionnel.

La clé était de construire « une nouvelle nature » consistant en des services écosystémiques standardisés qui pourraient être l’objet d’échanges commerciaux dans le monde entier. Pour éviter les dépenses liées à la réduction de l’impact environnemental chez elles, les entreprises pourraient désormais se conformer aux lois environnementales en achetant, de près ou de loin, des unités de compensation écologique à faible coût. Il s’agirait d’équivalents de réduction des émissions de CO2, d’unités de conservation des chauves-souris, de « résultats d’atténuation transférés au niveau international », etc. La nature a été ré-instrumentalisée et « moyennée » pour produire en masse des jetons de dispense réglementaire bon marché, en même temps que des ressources et une main-d’œuvre bon marché, contribuant à maintenir ouverts les pipelines d’extraction et de pollution que la législation environnementale conventionnelle avait menacé de fermer. Le hic, c’est qu’il n’y a des investissements dans les nouveaux services écosystémiques que s’il y a une demande suffisante de la part de l’extraction, de la fabrication de produits à base de combustibles fossiles et du développement d’infrastructures. Dans une ultime réconciliation orwellienne, un environnement « sain » en était venu à dépendre de la dégradation de l’environnement.

Ainsi, des centrales électriques en Europe pourraient « compenser » leurs émissions de gaz à effet de serre en colonisant la capacité photosynthétique de parcelles de terre en Amérique latine, en Afrique ou en Asie. Les entreprises pourraient également exploiter un avenir hypothétique en achetant des unités de « dégradation évitée » : tant qu’elles pourront prétendre empêcher ce qu’elles décrètent être une dégradation « inévitable » ailleurs, les entreprises privées seront légalement autorisées à poursuivre leur business as usual chez elles. Cette logique s’apparente à une machine à régénérer les mythologies coloniales auto-réalisatrices. La rhétorique oppose des habitants du Tiers Monde sans imagination, voués à la dégradation de leur environnement par un développement industriel irresponsable ou par la culture sur brûlis, à des investisseurs éclairés du Nord, seuls capables d’agir de manière indépendante pour assurer l’avenir de la nature. Comme l’État-providence et le développementalisme, la réglementation environnementale classique avait cédé la place à des relations de valeurs plus mondialisées et à de nouveaux colonialismes de l’espace et du temps.

Parce que le but du commerce des services écosystémiques est de réduire la réglementation pour faciliter l’accumulation du capital, la pression à la baisse sur les prix des services écosystémiques est aussi grande que celle des marchés des matières premières. Aucun pays du Sud ne fait fortune grâce au commerce de services écosystémiques, pas plus qu’il ne le fera par le néo-extractivisme. Les mouvements populaires doivent s’opposer aux deux dans le cadre de leurs luttes contre les programmes d’austérité, les réductions de salaires, les nouvelles enclosures des communs, la financiarisation, les accords de libre-échange et autres aspects du néolibéralisme.

Larry Lohmann travaille pour The Corner House, une ONG britannique. Il a vécu en Thaïlande et en Équateur et fait partie du conseil consultatif du World Rainforest Movement. Il est l’auteur de nombreux articles universitaires ainsi que de livres tels que Energy, Work and Finance (avec Nicholas Hildyard, Sturminster Newton : The Corner House, 2014).

Publication d’un nouveau dictionnaire sur le développement

Plus de 25 ans après la publication de « The development dictionary », vient de paraître « Pluriverse : a post-development dictionary ». Pourquoi un nouveau livre faisant une analyse critique du concept de développement, qui plus est sous la forme d’un dictionnaire ? Wolfgang Sachs qui a dirigé la rédaction de « The development dictionary » en donne l’explication dans la préface de « Pluriverse » intitulée « le développement revisité » (voir ci-dessous la traduction en français de la préface). Depuis l’émergence du concept à la sortie de la seconde guerre mondiale jusqu’à nos jours, le développement a subi plusieurs mutations, tout en conservant ses fondements les plus néfastes pour l’humanité et l’environnement. Le développement reste porté par l’idée qu’il n’y a qu’une seule forme d’évolution sociale. La « pensée du développement » nie la diversité des sociétés et des territoires et au contraire les soumet à ce que Wolfgang Sachs appelle la dictature de la comparaison quantitative. Le développement désormais affublé du qualificatif de durable est mesuré par des indices économiques mais aussi sociaux. C’est pour prendre en compte ces mutations, analyser leurs effets et proposer des alternatives pour sortir du développement une bonne fois pour toutes, que « Pluriverse » a vu le jour. « Pluriverse » est un dictionnaire sur ce que pourrait être un après développement plus qu’un dictionnaire sur le développement. Et l’après développement ne peut être que pluriel pour la centaine d’auteurs de « Pluriverse » originaires de tous les continents. Le plurivers, « un monde où beaucoup de mondes existent » selon les zapatistes, incarne cette vision plurielle de l’après développement. Le Plurivers est un ensemble d’alternatives au « monde unique » que veulent imposer les puissances impérialistes occidentales. A l’ontologie dualiste du monde unique (une culture universelle agissant sur une nature inerte), s’oppose l’ontologie relationnelle du plurivers (formes diverses de relation des humains entre eux et avec leur environnement dans le respect mutuel). Le plurivers rompt les dualités culture/nature, humain/non humain, homme/femme etc. à l’origine de la crise environnementale et offre par là même des possibilités d’en sortir.

Le livre est composé de 3 parties. Dans la 1ère partie, un auteur de chaque continent fournit une analyse critique des impacts du développement dans sa région. La 2ème partie passe en revue une série d’innovations techniques et financières présentées à tort comme la solution pour sortir de la crise mondiale : économie verte, marché de services écosystémiques, géo-ingénierie, villes intelligentes, transhumanisme… Enfin, la 3ème et principale partie de « Pluriverse » est un recueil des visions du monde et des pratiques, anciennes et nouvelles, locales et mondiales qui émergent des communautés indigènes et paysannes, des périphéries urbaines, des mouvements environnementaux, féministes et sociaux, en marge de la modernité capitaliste : agroécologie, buen vivir, institution des communs, convivialité, décroissance, démocratie directe, droits de l’homme et de la nature, écoféminisme, écosocialisme, souveraineté énergétique et alimentaire, swaraj… Il ne s’agit plus d’appliquer des politiques s’appuyant sur les mêmes mesures et indices de développement partout dans le monde, mais de reconnaître qu’il existe plusieurs chemins pour aller vers un monde durable et juste.

Après l’anglais et l’espagnol, les co-éditeurs de « Pluriverse » (Alberto Acosta, économiste et ancien ministre équatorien de l’énergie et des mines; Federico Demaria, économiste de l’environnement à l’université autonome de Barcelone; Pablo Escobar, anthropologiste à l’université de Caroline du Nord; Ashish Kothari, écologue et co-fondateur de l’ONG indienne Kalpavriksh; Ariel Saleh, sociologue et militante écoféministe) espèrent qu’il sera bientôt publié également en français et dans de nombreuses autres langues.

Pluriverse

Le développement revisité
Wolfgang Sachs

« L’idée de développement se dresse comme une ruine dans le paysage intellectuel ». C’est ce que nous avons écrit il y a environ vingt-cinq ans, en 1993, dans l’introduction de « The Development Dictionary ». Heureux et un peu naïfs, assis sous le porche de la maison de Barbara Duden près de la Pennsylvania State University à l’automne 1988, nous avons proclamé la fin de « l’ère du développement ». Entre les pâtes, le vin rouge et les rondelles d’oignon, entre les sacs de couchage, un ou deux ordinateurs personnels et de nombreuses rangées de livres, nous avons commencé à élaborer les grandes lignes d’un manuel qui allait exposer l’idée du développement.

Rappelons-nous : dans la seconde moitié du XXe siècle, la notion de développement était comme un puissant souverain sur les nations. C’était le programme géopolitique de l’ère post-coloniale. Comme les dix-sept auteurs, venant de quatre continents, avaient tous grandi avec le concept de développement, nous voulions nous débarrasser des convictions profondément ancrées de nos pères de l’après-guerre. Nous avons compris que le concept avait préparé le terrain pour le pouvoir impérialiste occidental sur le monde. De plus, nous avons senti – plus que pensé de manière rationnelle – que le développement conduisait à un cul-de-sac, dont les conséquences nous toucheraient sous forme d’injustice, de bouleversements culturels et de déclin écologique. En somme, nous nous étions rendu compte que l’idée de développement avait pris une direction qui n’était pas inhabituelle dans l’histoire des idées : ce qui était autrefois une innovation historique est devenue une convention au fil du temps, une convention qui allait se terminer par une frustration générale. Notre mentor spirituel, Ivan Illich, qui était parmi nous, a fait remarquer que cette idée s’inscrirait à merveille dans une archéologie de la modernité qu’il avait l’intention d’écrire. Déjà à l’époque, il était d’avis qu’il fallait parler du développement par le biais d’une notice nécrologique.

Flashback

Quand l’ère du développement a-t-elle commencé ? Dans notre dictionnaire du développement, nous avons identifié le président Harry S. Truman comme le méchant. En effet, le 20 janvier 1949, dans son discours d’investiture, il déclarait que plus de la moitié de la population mondiale venait de « régions sous-développées ». C’était la première fois que le terme « sous-développement », qui allait devenir plus tard une catégorie clé pour la justification du pouvoir, tant international que national, était employé lors d’un évènement politique important. Ce discours a ouvert l’ère du développement – une période de l’histoire du monde, qui a suivi l’ère coloniale, pour être remplacée quelque quarante ans plus tard par l’ère de la mondialisation. Et aujourd’hui, il y a des signes clairs que la mondialisation pourrait être à son tour remplacée par une ère de nationalismes populistes.

Qu’est-ce qui constitue l’idée de développement ? Nous devrions considérer quatre aspects. Sur le plan chrono-politique, toutes les nations semblent avancer dans la même direction. Le temps imaginé est linéaire, ne se déplaçant que vers l’avant ou vers l’arrière ; mais l’objectif de progrès technique et économique est éphémère. Sur le plan géopolitique, les adeptes du développement, les nations développées, montrent aux pays en difficulté la voie à suivre. La diversité étonnante des peuples du monde est ainsi réduite de façon simpliste en nations riches et pauvres. Sur le plan sociopolitique, le développement d’une nation se mesure à sa performance économique, en fonction de son produit intérieur brut. Les sociétés qui viennent de sortir de la domination coloniale sont tenues de se placer sous la tutelle de « l’économie ». Enfin, les acteurs qui font pression pour le développement sont principalement des experts au sein des gouvernements, des banques multinationales et des entreprises. Auparavant, à l’époque de Marx ou de Schumpeter, le terme de développement était utilisé de façon intransitive, comme une fleur qui cherche à éclore. Aujourd’hui, le terme est utilisé de façon transitive comme une réorganisation active de la société qui doit être achevée dans des décennies, voire des années.

Alors que nous étions prêts à chanter l’adieu à l’ère du développement, l’histoire du monde ne nous a pas suivi. Au contraire, l’idée a reçu un nouvel élan. Alors que les premières ébauches de notre dictionnaire étaient prêtes, en novembre 1989, le mur de Berlin est tombé. La guerre froide était terminée et l’époque de la mondialisation a commencé. Les portes pour les forces du marché transnational qui s’étendent jusqu’aux recoins les plus reculés de la planète ont été grandes ouvertes. L’État-nation est devenu poreux ; l’économie et la culture étaient de plus en plus déterminées par les forces mondiales. Le développement, qui était autrefois une tâche de l’État, est maintenant dé-territorialisé. Les sociétés transnationales s’étendent sur tous les continents et les modes de vie sont alignés les uns sur les autres : Les 4×4 ont remplacé les pousse-pousse, les téléphones cellulaires ont remplacé les rassemblements communautaires, la climatisation a remplacé la sieste. La mondialisation peut être comprise comme un développement sans les États-nations. Les classes moyennes mondiales – blanches ou noires, jaunes ou brunes – en ont le plus profité. Elles consomment dans des centres commerciaux similaires, achètent des produits électroniques de haute technologie, regardent les mêmes films et séries télévisées. En tant que touristes, elles disposent librement du moyen décisif de l’alignement : l’argent. En gros, déjà en 2010, la moitié de la classe moyenne mondiale vivait dans le Nord et l’autre moitié dans le Sud. C’est sans aucun doute le grand succès de la « pensée du développement », mais c’est un échec qui se profile à l’horizon.

Effondrement

« Développement » est un mot malléable, un terme vide de signification positive. Néanmoins, il a conservé son statut de perspective, car il est inscrit dans un réseau international d’institutions qui va des Nations Unies aux ONG. Après tout, des milliards de personnes ont fait usage de ce « droit au développement », comme il est dit en 1986 dans la résolution de l’assemblée plénière de l’ONU. Nous, les auteurs du dictionnaire du développement, étions impatients de proclamer la fin de l’ère du développement ; nous n’avions pas anticipé que le coma politique durerait des décennies. Pourtant, nous avions raison – même si nous avions imaginé que cela se déroulerait différemment.

L’effondrement de l’idée de développement est maintenant évident dans le programme de l’Agenda 2030 des Nations Unies pour les objectifs du développement durable (ODD). L’époque où le développement signifiait « promesse » est révolue depuis longtemps. À l’époque, on parlait de jeunes nations aspirant à se lancer sur la voie du progrès. En effet, le discours du développement est porteur d’une promesse historique monumentale : qu’à terme, toutes les sociétés finiront par combler le fossé qui les sépare des sociétés les plus riches et se partageront les fruits de la civilisation industrielle. Cette époque est révolue : la vie quotidienne est désormais plus souvent une question de survie que de progrès. Si la politique de lutte contre la pauvreté a été couronnée de succès à certains endroits, cela fut au prix d’inégalités encore plus grandes ailleurs, et au prix de dommages environnementaux irréparables. Le réchauffement de la planète et l’érosion de la biodiversité ont jeté le doute sur le fait que les nations développées soient le pinacle de l’évolution sociale. Au contraire, le progrès s’est avéré être une régression, car la logique capitaliste à l’oeuvre dans les pays développés ne peut qu’exploiter la nature. Des « Limites de la croissance » en 1972 aux « Limites planétaires » en 2009, l’analyse est claire : le développement en tant que croissance conduit à une insoutenabilité de la planète Terre pour les humains. Les ODD – qui portent le développement dans leur titre – sont une tromperie sémantique. Les objectifs de développement durable devraient vraiment s’appeler OSD – objectifs de survie durable.

Il convient ici de citer un passage du document qui annonçait les ODD : « Il s’agit d’un programme d’une portée et d’une importance sans précédent […]. Il s’agit d’objectifs et de cibles universels qui impliquent le monde entier, les pays développés comme les pays en développement ». Vous ne pouvez pas exprimer plus clairement le changement de mentalité : « la géopolitique du développement », selon laquelle les nations industrielles seraient l’exemple à suivre pour les pays les plus pauvres, a été éliminée. Tout comme l’ère de la guerre froide s’est estompée en 1989, le mythe du rattrapage s’est évaporé en 2015. Rarement un mythe n’a été enterré aussi tranquillement. Quel est l’intérêt du développement s’il n’y a pas de pays que l’on peut qualifier de « développé durablement » ? En dehors de cela, la géographie économique du monde a changé. D’un point de vue géopolitique, l’ascension rapide de la Chine en tant que plus grande puissance économique de la planète a été spectaculaire. Les sept pays nouvellement industrialisés les plus importants sont maintenant économiquement plus forts que les États industriels traditionnels, bien que le G-7 prétende toujours être hégémonique. La mondialisation a presque dissous le schéma Nord-Sud en place.

De plus, le développement a toujours été une construction statistique. Sans le chiffre magique, le produit intérieur brut (PIB), il était impossible de classer les nations du monde. La comparaison des revenus était le point de départ de la réflexion sur le développement. Ce n’est que de cette façon que l’on peut relativiser la pauvreté ou que la richesse d’un pays est déterminée. Depuis les années 1970, cependant, une dichotomie est apparue dans le discours sur le développement, juxtaposant l’idée de développement en tant que croissance à l’idée de développement en tant que politique sociale. Des institutions telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont continué à ne considérer que l’idée de développement en tant que croissance, tandis que le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), et la plupart des ONG ont mis l’accent sur l’idée du développement en tant que politique sociale. Ainsi le terme « développement » est devenu une expression fourre-tout. Les ODD sont issus de cette tradition. La croissance économique n’est plus l’objectif, mais le réductionnisme de la pensée du développement ne disparaît pas si facilement. Au lieu des chiffres du PIB, nous disposons désormais d’indicateurs sociaux – nutrition, santé, éducation, environnement – afin de cartographier la performance d’un pays. Les données permettent la comparaison, et la comparaison permet de calculer des déficits le long d’un axe du temps, tout comme entre les groupes et les nations. La réduction des déficits dans le monde a été l’objectif du développement durant ces 70 dernières années. En ce sens, l’indice de développement humain, à l’instar du PIB, est un indice de déficit ; il classe les pays de manière hiérarchique et part ainsi de l’hypothèse qu’il n’y a qu’une seule forme d’évolution sociale. C’est ainsi que la pensée du développement révèle son secret : elle vit de la dictature de la comparaison quantitative.

Perspective

L’année même de la publication de notre dictionnaire du développement, un autre livre faisait fureur : La fin de l’histoire de Francis Fukuyama. C’est ce qui a marqué l’atmosphère de l’époque : le triomphe de l’Occident avec sa démocratie et ses conditions de vie industrialisées. Vingt-cinq ans plus tard, en 2018, aucune de ses promesses ne s’est concrétisée. Au contraire, le désarroi, voire le chaos, la peur et la colère se sont largement répandus et contrastent fortement avec le triomphalisme des années 1990. Si l’on devait trouver un mot pour décrire l’atmosphère actuelle dans l’hémisphère nord et dans certaines parties de l’hémisphère sud, ce serait : la peur de l’avenir, la peur que les perspectives de vie se réduisent et que nos enfants et petits-enfants soient moins bien lotis que nous. La suspicion que les attentes suscitées par le développement ne seront pas satisfaites se répand parmi la classe moyenne mondiale. Exclus de leurs traditions, conscients des styles de vie occidentaux à travers leurs smartphones, mais aussi exclus du monde moderne, c’est le sort de trop de gens, et pas seulement dans les pays pauvres. Ainsi, la confusion culturelle et les crises écologiques alimentent la peur de l’avenir.

Quoiqu’il en soit, l’âge moderne expansif s’est enlisé et il est temps d’en sortir. En un coup d’œil, on peut identifier trois récits qui répondent à la peur de l’avenir : les récits de la « forteresse », du « mondialisme » et de la « solidarité ». La « pensée de la forteresse », exprimée par le néo-nationalisme, fait renaître le passé glorieux d’un peuple imaginaire. Les dirigeants autoritaires redonnent de la fierté ; tandis que les autres sont des boucs émissaires – des musulmans à l’ONU. Cela conduit à la haine envers les étrangers, parfois couplés à un fondamentalisme religieux. Une sorte de « chauvinisme d’abondance » s’est largement répandu, en particulier dans les nouvelles classes moyennes dont les biens matériels doivent être défendus contre les pauvres. En revanche, dans le « mondialisme », nous trouvons l’image de la planète comme un symbole archétypique. Au lieu du mercantilisme de la forteresse de « América first », les mondialistes promeuvent un monde de libre-échange idéalement déréglementé, qui a pour but d’apporter la richesse et le bien-être aux entreprises et aux consommateurs du monde entier. L’élite libérale mondialisée peut aussi avoir peur de l’avenir, mais de telles difficultés peuvent apparemment être dépassées grâce à la « croissance verte et inclusive » et aux technologies intelligentes.

Le troisième récit – la « solidarité » – est différent. La peur de l’avenir appelle à la résistance contre les puissants, les garants d’une société du chacun pour soi et la poursuite capitaliste du profit. Au contraire, les droits de l’homme – collectifs et individuels – et les principes écologiques sont valorisés ; les forces du marché ne sont pas une fin en soi, mais des moyens d’atteindre une fin. Comme l’exprime le slogan « penser global, agir local », un localisme cosmopolite se nourrit d’une politique locale qui doit aussi prendre en compte des besoins plus larges. Cela signifie l’élimination progressive du mode de vie impérialiste qu’exige la civilisation industrielle et la redéfinition de formes de prospérité frugale. Selon les mots du Pape François, actuellement l’un des plus importants hérauts de la solidarité avec son encyclique « Laudato Si » :

Nous savons à quel point le comportement de ceux qui consomment et détruisent constamment est insoutenable, alors que d’autres ne sont pas encore capables de vivre d’une manière qui soit conforme à leur dignité humaine. C’est pourquoi le moment est venu d’accepter la décroissance dans certaines parties du monde, afin de fournir des ressources pour que d’autres endroits puissent connaître une croissance saine (§193 du Laudato Si).

J’ai le sentiment que ce dictionnaire de l’après-développement s’enracine profondément dans le récit de la solidarité. Les cent entrées élucident de nombreux chemins vers une transformation sociale qui place l’empathie avec les humains et les non humains au premier plan. Ces visions s’opposent fermement au nationalisme xénophobe et au mondialisme technocratique. Il est très encourageant de constater que la théorie et la pratique de la solidarité, comme en témoigne déjà la diversité géographique des auteurs du dictionnaire, semblent avoir a atteint tous les coins du monde.

Autres ressources

Sa Sainteté, le pape François (2015), Laudato Si’

Illich, Ivan (1993), Tools for Conviviality. New York: Harper & Row.

Mishra, Pankaj (2017), Age of Anger: A History of the Present. London: Allen Lane.

Raskin, Paul (2016), Journey to Earthland: The Great Transition to Planetary Civilization. Boston: Tellus.

Sachs, Wolfgang (ed.) (2010 [1992]), The Development Dictionary: A Guide to Knowledge as Power. London: Zed Books.

Speich-Chassè, Daniel (2013), Die Erfindung des Bruttosozialprodukts: Globale Ungleichheit in der Wissensgeschichte der Ökonomie. Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht.

Communiqué de l’association Solidarité Partagée du 10 juillet 2020

Notre association se substitue à l’État sans aucun financement depuis plus de deux ans en hébergeant et en proposant des activités aux demandeurs d’asile laissés systématiquement à la rue par le dispositif national d’accueil à Montpellier. La préfecture de l’Hérault traite d’une façon inhumaine les demandeurs d’asile en les laissant volontairement à la rue alors qu’elle a l’obligation de les prendre en charge en les hébergeant durant toute la durée de leur demande d’asile.

Aujourd’hui, notre activité d’utilité publique est menacée par le préfet de l’Hérault qui annonce ouvertement une expulsion imminente des locaux réquisitionnés par notre association. Nous accueillons chaque jour de nouvelles personnes vulnérables et en détresse, abandonnées par l’État jusqu’à ce qu’elles soient prises en charge après plusieurs mois, qu’elles passeraient à la rue sans notre initiative. En aucun cas, celle-ci ne devrait être menacée tant que l’État ne mettra pas en place des structures adaptées comme le font d’autres pays européens pour accueillir tous les demandeurs d’asile arrivant sur leur territoire.

Nous accueillons 250 personnes dans plus de 2000 m² et disposons d’un hectare de terre agricole que les demandeurs d’asile cultivent en bio. Le préfet de l’Hérault a refusé la proposition du maire de Montpellier, qui souhaitait nous fournir des toilettes supplémentaires pendant le confinement. La fondation Abbé Pierre, le Secours populaire et le Secours catholique ont financé des douches et des toilettes pendant la crise sanitaire. Il n’y a actuellement aucun cas de covid19 dans les locaux de notre association.

Une audience en justice pour nous accorder des délais supplémentaires a été acceptée et reportée au mois de septembre 2020.

Quand le régime turc fait du féminicide une arme de sa sale guerre contre les Kurdes

Mardi 23 juin 2020, un drone de combat de l’armée turque a délibérément visé et tué trois femmes kurdes, dans le village de Helincê, à Kobanê. Zehra Berkel, Hebûn Mele Khelil et Emine Weysi étaient des activistes du mouvement des femmes Kongreya Star. La première était de plus coordinatrice du mouvement au niveau régional.

Cette attaque vise non seulement Kobanê, le symbole de la résistance kurde contre Daesh, mais aussi les femmes qui sont au centre de la révolution sociale menée depuis 2012 au Rojava, une expérience démocratique unique, basée sur le municipalisme libertaire, l’égalité des genres, le pluralisme ethnique et l’écologie.

Ce n’est pas la première fois que le régime turc cible les femmes, afin d’atteindre le cœur de la résistance kurde. A Paris, en janvier 2013, il a ordonné le meurtre des militantes kurdes Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez. En octobre 2019, les mercenaires djihadistes contrôlés par la Turquie lors de l’invasion turque au Nord de la Syrie ont assassiné la dirigeante politique Hevrîn Khalaf.

Ce nouvel assassinat de trois femmes s’inscrit dans une répression et une guerre tous azimuts, menées par la Turquie d’Erdogan pour anéantir le peuple kurde.

  • Au nord de la Syrie, l’armée turque et ses mercenaires djihadistes commettent des violations et des exactions quotidiennes contre les Kurdes et les autres composantes ethniques de cette région qu’ils occupent.
  • En Turquie, les élus et militants du Parti démocratique des Peuples (HDP) subissent une répression systématique destinée à empêcher toute expression politique du peuple kurde : pas un jour ne se passe sans des destitutions d’élus, des arrestations, des détentions et de lourdes condamnations pénales prononcées par une justice aux ordres du pouvoir.
  • La semaine dernière encore, l’armée turque a bombardé trois zones du sud Kurdistan, en Irak, dont le camp de réfugiés de Makhmour, sous la responsabilité du HCR.

La Russie, qui contrôle l’espace aérien au-dessus de Kobanê, la coalition internationale et l’ONU qui se taisent face à ces crimes de guerre, sont également responsables. Par leur silence, et en laissant faire la Turquie, elles l’encouragent dans sa volonté d’annexion.

Plus que jamais, nous devons soutenir la résistance du peuple kurde. Le collectif montpelliérain de solidarité avec le peuple kurde demande au gouvernement français de dénoncer les agressions turques et les assassinats politiques, de proposer à l’UE et à l’ONU une zone d’exclusion aérienne en Syrie et Irak, visant à empêcher tout bombardement des populations.

Erdogan relance la guerre contre les Kurdes

Communiqué de presse du Collectif montpelliérain de solidarité avec le peuple kurde
dont Attac Montpellier fait partie

Au cours de la nuit de dimanche à lundi 15 juin 2020, l’armée turque a bombardé le Sud Kurdistan (en Irak) avec une soixantaine d’avions de chasse ciblant notamment le camp de Makhmour (à une centaine de kilomètres de Erbil), qui abrite 15.000 réfugiés kurdes. Le camp se trouve en principe sous la protection du Haut-commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (HCR). Une autre zone ciblée par les bombardements est la région kurde-yézidie de Shengal, lourdement attaquée par Daesh en 2014 ; la population de Shengal, qui ne s’est pas encore remise de ces massacres, subit aujourd’hui les bombardements de l’État turc.

La Turquie s’en prend aussi aux autres parties du Kurdistan, en envahissant chaque jour un peu plus le nord de la Syrie. Au Rojava, le régime d’Erdogan s’attaque aux territoires libérés de Daesh par les Kurdes et au système démocratique mis en place. Toutes les minorités ethniques et religieuses du Kurdistan sont menacées. L’objectif la Turquie est d’occuper durablement ces régions, à l’instar de ce qu’elle a fait à Chypre.

Erdogan, en grande difficulté, croit se maintenir au pouvoir par ces agressions militaires, flattant un nationalisme exacerbé. En Turquie même, il foule au pied libertés et démocratie. Il a ainsi arbitrairement, destitué les co-maires de 45 municipalités sur les 65 municipalités remportées par le HDP (Parti démocratique des peuples) aux élections municipales de mars 2019. Le mercredi 17 juin il a limogé les co-maires des municipalités d’Igdır, Siirt, Kurtalan, Baykan et Altinova, nommant des administrateurs pour les remplacer. Les dirigeants du HDP et ses élu.es – Député.es, Maires, Conseiller.es municipaux – sont arrêté.es et jeté.es en prison dans le cadre de rafles périodiques.

Le régime dictatorial d’Erdogan est encouragé dans ces violations du droit international par le silence de l’ONU et de tous les Etats. La communauté internationale doit sortir de son silence.

Le collectif montpelliérain de solidarité avec le peuple kurde demande au gouvernement français de dénoncer les agressions turques et les atteintes aux libertés, de proposer à l’UE et à l’ONU une zone d’exclusion aérienne en Syrie et Irak, visant à empêcher tout bombardement des populations.

Le collectif montpelliérain de solidarité avec le peuple kurde appelle aussi à une manifestation de soutien aux peuples du sud-Kurdistan, bombardés par l’armée turque, le samedi 20 juin à 19h au Peyrou.

contact : collectifdesolidariteaveclepeuplekurde (at) lilo.org