Economie circulaire

Traduction en français de l’article Circular Economy du livre
Pluriverse : A Post-Development Dictionary

Mots clés: métabolisme sociétal, efficacité des ressources, réutilisation, durabilité, croissance

L’économie circulaire (EC) est une démarche émergente visant à découpler la croissance économique et les impacts environnementaux. Il s’agit à la base de :

  1. réduire la consommation de matières premières afin de faire reculer le modèle extractif du système économique actuel ;
  2. promouvoir les pratiques de réutilisation, en évitant de rejeter des matériaux et des produits qui ont encore une valeur d’usage pour les différents acteurs de la société ;
  3. accroître le recyclage des biens en mettant en œuvre un système de marché efficace pour les matières secondaires.

Les solutions techniques et liées au design ainsi que les solutions managériales sont à la pointe de la recherche en EC et de ses applications. Ces solutions permettent de contrecarrer l’obsolescence programmée – la limitation de la durée d’utilisation des produits afin d’augmenter leur volume de vente à long terme – du business model standard et de prolonger la durée d’utilisation des produits.

L’apparition du concept d’EC remonte à des pionniers de l’économie environnementale tels que Kenneth Boulding. Au milieu des années 60, celui-ci a critiqué l’idée d’une économie en expansion continue et linéaire, une économie de cow-boy basée sur des terres toujours plus nombreuses à coloniser pour augmenter la production de bétail. Il prévoyait l’avènement de l’économie des vaisseaux spatiaux, où l’expansion vers de nouvelles frontières extractives n’est plus possible et où le recyclage des matériaux et de l’énergie devient la principale préoccupation des entreprises. Plus tard, dans les années 80, le bilan matériel de l’économie est également devenu un sujet central pour des économistes environnementaux très influents comme David Pearce et Kerry Turner (1990), qui, probablement pour la première fois, ont utilisé le terme « économie circulaire ». Ils ont expliqué que ce n’est que si l’on ignore l’environnement – le système fermé qui fixe les limites et les frontières de l’extraction et du rejet de la matière – que l’économie peut apparaître comme un système linéaire en expansion. Au cours de la même période, les écologistes industriels et les éco-concepteurs ont commencé à rechercher comment augmenter l’efficacité des matériaux et prolonger la durée d’utilisation des produits. Ces études ont contribué au développement du soit-disant « métabolisme industriel », c’est-à-dire à l’évaluation intégrée des activités de travail ainsi que des processus technologiques et physiques nécessaires à la transformation des matières premières et secondaires et de l’énergie dans les produits finis et les déchets. L’urgence de la réduction des déchets a énormément influencé le développement des idées et l’application de l’EC. Cela explique également pourquoi les politiques en matière d’EC sont issues ou font directement partie du cadre législatif et des plans programmatiques en matière de déchets (Ghisellini et al. 2016). Les réflexions sur l’EC proviennent de nombreuses autres disciplines. Dans le domaine de l’architecture, par exemple, le concept de « cradle-to-cradle » pousse les designers à imaginer des produits régénérateurs. Les scientifiques et les gestionnaires des ressources naturelles favorisent la diffusion de l’approche biomimétique, qui tente d’imiter les qualités d’adaptation des éléments et des structures présents dans la nature pour résoudre les problèmes humains. L’économie circulaire applique également des principes issus de la permaculture, un système intégré de culture qui simule l’évolution d’un écosystème biologique auto-organisé.

Néanmoins, les modèles actuels de l’économie « réelle » des flux de matières et d’énergie suggèrent qu’il faut être prudent quant aux bénéfices de l’EC. L’économie actuelle est beaucoup plus efficace que celle qui existait il y a un siècle, mais elle utilise des ressources à un niveau jamais atteint auparavant. Elle extrait une quantité sans précédent de matières premières et libère des quantités insoutenables de déchets solides et gazeux. L’empreinte matérielle des nations, un indicateur qui rend compte de l’impact associé aux extractions de matières premières sur la nation qui consomme réellement les produits de la chaîne finale, montre qu’aucun découplage absolu n’est à l’horizon. La prospérité ne diminue en rien la pression sur les ressources naturelles (Wiedmann et al. 2015). Une étude empirique inédite visant à estimer la circularité de l’économie mondiale précise que seuls 6 % des matériaux extraits sont recyclés et retournent alimenter la boucle de la production et de la consommation. Le potentiel maximum actuel de recyclage est en fait d’environ 30 % ; les 70 % restants sont composés principalement d’énergie et, dans une moindre mesure, de déchets minéraux qui ne peuvent être recyclés (Haas et al. 2015). Il n’est donc pas difficile de conclure que le schéma actuel de l’économie mondiale est très éloigné des objectifs de l’EC.

En outre, si l’on s’attend, même si ce n’est pas toujours pleinement démontré, à ce que l’EC stimule l’emploi et crée des emplois de qualité, il est étonnant qu’il n’y ait aucune discussion sur la possibilité d’accroître l’inégalité de distribution et d’accès aux ressources, produits et services, même dans le cadre des scénarios de l’EC.

La prudence exprimée précédemment ne doit pas conduire à un rejet superficiel des principes et des applications de l’EC. En effet, les acteurs de l’EC méritent attention. Il y a, parmi ces acteurs, les communautés d’économie circulaire opensource, c’est-à-dire les experts, les concepteurs et les innovateurs qui, dans leur diversité, souhaitent promouvoir la transparence, le libre accès à l’information, aux produits et aux technologies et qui proposent des solutions à code source libre aux problèmes d’environnement et de ressources. Ces mouvements de base remettent en question non seulement le modèle économique, mais aussi l’institution essentielle du capitalisme, c’est-à-dire la propriété privée de la connaissance et de l’information. L’hésitation à s’engager avec ces acteurs d’une économie en plein essor basée sur les communs numériques pourrait être une occasion manquée, puisqu’ils sont à l’origine de certaines des innovations les plus importantes qui pourraient rendre techniquement et socialement possible une société de « décroissance » à faibles émissions de carbone. Il est donc extrêmement important de les suivre et de créer une synergie avec eux.

Giacomo D’Alisa est un économiste écologique et un écologiste politique. Ses intérêts de recherche vont de la gestion des déchets à la justice environnementale, du trafic illégal de déchets à la criminalité environnementale. Il promeut des visions de décroissance et s’intéresse à la manière dont une société de décroissance centrée sur les soins et les communs pourrait se concevoir. Il est actuellement post-doc au Centre d’études sociales (CES) de l’université de Coimbra.