Traduction en français de l’article Social Ecology du livre
Pluriverse : A Post-Development Dictionary
Mots clés: démocratie directe, écologie, confédération, hiérarchie, communauté,
assemblée, mouvements sociaux
L’écologie sociale offre une nouvelle perspective politique révolutionnaire, remettant en question les conceptions conventionnelles des relations entre les communautés humaines et le monde naturel, et proposant une vision alternative des villes, des villages et des quartiers libres, confédérés et directement démocratiques qui cherchent à ré-harmoniser ces relations. L’écologie sociale a été initialement développée par le théoricien social Murray Bookchin, qui a travaillé aux États-Unis entre les années 1960 et le début des années 2000, et a été développée plus avant par ses collègues et de nombreuses autres personnes dans le monde entier. L’écologie sociale a eu une influence sur divers mouvements sociaux, notamment les campagnes des années 1970 contre l’énergie nucléaire, certains des mouvements altermondialistes et de justice climatique, et la lutte actuelle pour l’autonomie démocratique des communautés kurdes en Turquie et en Syrie.
L’écologie sociale considère que les problèmes environnementaux sont fondamentalement de nature sociale et politique, et qu’ils sont enracinés dans les héritages historiques de la domination et de la hiérarchie sociale. L’écologie sociale prend ses racines dans les courants du socialisme anarchiste et libertaire, qui remettent en question le capitalisme et l’État-nation et considèrent les institutions de la démocratie locale comme le meilleur antidote au pouvoir centralisé de l’État. Murray Bookchin a été parmi les premiers penseurs occidentaux à identifier l’impératif de croissance du capitalisme comme une menace fondamentale à l’intégrité des écosystèmes vivants et a soutenu que les préoccupations sociales et écologiques sont fondamentalement inséparables. Par le biais d’études approfondies sur l’histoire et l’anthropologie, Bookchin a remis en question la notion occidentale commune selon laquelle les humains cherchent par essence à dominer le monde naturel, concluant plutôt que la domination de la nature est un mythe enraciné dans les relations de domination entre les peuples qui ont émergé de l’effondrement des anciennes sociétés tribales en Europe et au Moyen-Orient. Les écologistes sociaux sont également influencés par des éléments de la pensée indigène nord-américaine et par diverses écoles de théorie sociale critique, notamment l’approche historiquement ancrée du féminisme écologique initiée par les écologistes sociaux Ynestra King et Chaia Heller.
En prenant en compte ces influences, l’écologie sociale met en évidence divers principes sociaux égalitaires que de nombreuses cultures indigènes – passées et présentes – ont en commun, et les élève au rang de guides pour un ordre social renouvelé. Ces principes, révélés par des anthropologues critiques et des penseurs indigènes, comprennent les concepts d’interdépendance, de réciprocité, d’unité dans la diversité et une éthique de la complémentarité, c’est-à-dire l’équilibre des rôles entre les différents secteurs sociaux, notamment en compensant activement les différences entre les individus. Le conflit inhérent entre ces principes directeurs et ceux des sociétés hiérarchisées de plus en plus stratifiées a façonné les héritages conflictuels de domination et de liberté pendant une grande partie de l’histoire de l’humanité.
La réflexion philosophique de l’écologie sociale examine l’émergence de la conscience humaine au sein des processus de l’évolution naturelle. La perspective du naturalisme dialectique examine les forces dynamiques de l’histoire de l’évolution et considère l’évolution culturelle comme un développement dialectique influencé par des facteurs naturels et sociaux. Les écologistes sociaux remettent en question la conception dominante de la nature comme un « domaine de nécessité », suggérant que, comme l’évolution naturelle a fait progresser les qualités de diversité et de complexité, et a également été à l’origine de la créativité et de la liberté humaines, il est impératif pour nos sociétés d’exprimer et d’élaborer pleinement ces tendances évolutionnistes sous-jacentes.
Ces explorations historiques et philosophiques sont à la base de la stratégie politique de l’écologie sociale, que l’on qualifie de municipalisme libertaire ou confédéral ou, plus simplement, de « communalisme », découlant d’idées clés héritées de la Commune de Paris de 1871. L’écologie sociale reprend les racines grecques anciennes du mot « politique » comme étant l’autogestion démocratique de la polis, ou municipalité. Bookchin a plaidé pour des villes et des quartiers libérés, gouvernés par des assemblées populaires ouvertes, librement confédérées pour contester l’esprit de clocher, encourager l’indépendance et construire un véritable contre-pouvoir. Il a célébré les traditions des Town Meeting dans le Vermont et dans toute la région de la Nouvelle-Angleterre aux États-Unis, décrivant comment les Town Meeting de la région ont pris un caractère de plus en plus radical et égalitaire dans les années précédant la Révolution américaine.
Les écologistes sociaux estiment que si les institutions du capitalisme et de l’État renforcent la stratification sociale et exploitent les divisions entre les gens, des structures alternatives ancrées dans la démocratie directe peuvent favoriser l’émergence d’un intérêt social général pour un renouveau social et écologique. Les personnes inspirées par ce point de vue ont introduit des structures de démocratie directe et des assemblées populaires dans de nombreux mouvements sociaux aux États-Unis, en Europe et au-delà, depuis les campagnes populaires d’action directe contre l’énergie nucléaire à la fin des années 1970 jusqu’aux mouvements plus récents de justice mondiale et altermondialistes comme Occupy Wall Street. La dimension préfigurative de ces mouvements – anticiper et mettre en œuvre les différents éléments d’une société libérée – a encouragé les participants à remettre en question le statu quo et à promouvoir des visions d’avenir porteuses de transformation.
Les écologistes sociaux ont également cherché à renouveler la tradition utopique de la pensée occidentale. Le co-fondateur de l’Institute for Social Ecology, Dan Chodorkoff, plaide en faveur d’un « utopisme pratique », combinant les connaissances théoriques et la pratique politique de l’écologie sociale avec les principes avancés de la construction écologique et du redesign urbain, ainsi que les écotechnologies pour produire de la nourriture, de l’énergie et d’autres produits de première nécessité. Les concepts de design écologique tels que la permaculture, qui encouragent une compréhension plus approfondie des modèles du monde naturel, sont en résonance avec la vision de l’écologie sociale selon laquelle les êtres humains peuvent participer à la nature de manière créative et mutuellement bénéfique, tout en cherchant à renverser les héritages historiques d’abus et de destruction.
Les perspectives de l’écologie sociale ont profondément influencé les acteurs des mouvements sociaux, depuis les premières années de la politique des Verts jusqu’aux récentes campagnes en faveur de l’autonomisation locale par le biais d’assemblées populaires dans plusieurs villes européennes et canadiennes. Les écologistes sociaux ont influencé les efforts en faveur d’un urbanisme plus vert et du pouvoir des quartiers dans de nombreuses régions du monde. L’influence actuelle la plus frappante concerne peut-être les militants des régions kurdes du Moyen-Orient, où des populations ethniquement diverses, longtemps marginalisées par les pouvoirs coloniaux et étatiques, ont créé des institutions de démocratie directe confédérale dans l’une des régions les plus déchirées par la guerre. Malgré la persistance des guerres sectaires et des violences religieuses, les villes kurdes proches de la frontière turco-syrienne œuvrent en faveur de l’égalité des sexes et de la reconstruction écologique, en s’inspirant largement de l’écologie sociale et d’autres perspectives sociales critiques ancrées dans une grande variété de points de vue culturels.
Brian Tokar est maître de conférences en études environnementales à l’université du Vermont ; il est membre du conseil d’administration de l’Institute for Social Ecology dans le Vermont, USA, après en avoir été directeur. Son dernier livre s’intitule Toward Climate Justice : Perspectives on the Climate Crisis and Social Change (édition révisée ; New Compass Press, 2014).